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Photo du rédacteurjulie higounet

Pourquoi faire participer les élèves au développement professionnel des enseignants ?

À bien y penser, il paraît étrange de s’occuper de questions de formation et de développement professionnel sans les principaux intéressés, les élèves. Si formation il y a, c’est toujours dans le but d’améliorer les conditions d’apprentissage et de prendre en compte, au mieux, chaque élève dans ce qu’il a de singulier.

Nous passons beaucoup de temps à faire des hypothèses, des suppositions lors des temps de formation, sur les élèves, leurs réactions ou ressenti. Et finalement, nous en oublions de les interroger directement sur ces changements en cours. Nous ne les questionnons que trop rarement sur les adaptations à y apporter.

Pourquoi semble-t-il si complexe de questionner les principaux acteurs, les élèves ? Quels sont les bénéfices à attendre d’une telle démarche ? Comment envisager une entrée en matière ?

Elèves et enseignants : une culture de la rétroaction encore peu présente

Une partie de la réponse réside sûrement dans le fait que la culture de la rétroaction n’est que peu présente dans le monde de l’éducation et spécifiquement en France.

Malgré les recherches récentes et récurrentes sur le sujet à l’international[1], nous rappelant que sans miroir, sans avis, sans enquête, sans retours des personnes impliquées dans ce que nous appelons communauté éducative, il reste compliqué de voir comment avancer.

Il n’est pas commun de demander aux parents ce qu’ils pensent de l’école. Les canadiens expliquent que l’école ne doit pas laisser[2] les parents sur le paillasson de l’établissement sous peine de se priver d’un levier important pour la motivation et l’engagement des élèves.

Effectuer régulièrement des évaluations 360° pour les personnels d’encadrement ou demander aux élèves ce qu’ils pensent de leur classe chaque trimestre relève encore un peu d’une utopie qui dérange.

Le principal argument de justification pour éviter une telle démarche serait la compétence. Les parents, les collaborateurs, les élèves, ne seraient pas compétents pour dire ce qui pourrait fonctionner autrement. Mais la question au fond n’est peut-être pas là. Il s’agit surtout d’orienter le questionnement de la communauté pour en tirer des données qui permettent de mieux comprendre ce que seul nous ne pouvons pas voir.

Le changement de paradigme[3] et de point de vue est une nécessité pour mieux comprendre et élargir son cadre de référence.

Les élèves, une voix essentielle pour faire avancer les pratiques enseignantes

Les élèves font pleinement partie de la communauté éducative et à ce titre il est important qu’ils sachent que leur expertise, leurs opinions et leurs idées sont valorisées dans tous les aspects de la vie scolaire. Les élèves ont des connaissances souvent inexploitées. Ils vivent et expérimentent la classe et l’organisation scolaire dans son ensemble.

Dès le matin et jusqu’au soir, de septembre à juin, de la maternelle au secondaire, ils sont les acteurs de la communauté éducative et sont les plus présents physiquement dans l’enceinte scolaire.

Leurs réflexions et points de vue peuvent apporter une pertinence et une authenticité renouvelées à ce que les enseignants et les équipes d’encadrement vont percevoir. Mais trop souvent le filtre de la représentativité en comité restreint lorsqu’elle existe, (élus de “bons élèves”) prive l’institution scolaire d’entendre pleinement toutes ses voix.

Des bénéfices à plusieurs niveaux sont ainsi à noter…

  • Une clarification et une explicitation au service du sens

La planification de la prise en compte des commentaires des élèves oblige l’enseignant à s’organiser en établissant des objectifs et des tâches claires et explicites. Sans cela il reste complexe de commenter et effectuer un retour pour les élèves. Plus les enseignants ouvrent la porte à un retour de la part de leurs élèves et plus le souci de clarification est d’explicitation des attendus est grand.

Lorsque l’on décide de s’engager dans un processus de formation, la formalisation du geste professionnel et la prise de recul sont clés dans l’intégration. Ce souci de clarification et d’explicitation auprès des élèves dans l’attente d’un retour représentent des leviers d’assimilation non négligeable pour les pratiques en cours de transformation.

La question du sens devient aussi centrale car cela représente souvent l’un des principaux éléments soulevés par les élèves.

  • Une communication à double sens pour améliorer les relations

Une communication à double sens peut sembler être un pléonasme. Mais à bien y réfléchir, peut-être pas. Lorsque les enseignants font participer les élèves à leur développement professionnel, ils obtiennent des informations précieuses qui doivent normalement permettre de rendre plus efficaces les modifications en cours.

De ce fait, les élèves sentent que leurs opinions sont appréciées et qu’ils peuvent avoir un réel impact sur le vie de la classe. C’est le début d’une communication à double sens qui s’opère. L’enseignant aide, accompagne, guide et apporte des rétroactions aux élèves et ceux-ci peuvent en retour communiquer également sur les mises en œuvre adoptées par l’enseignant.

Les élèves comme les enseignants se sentent plus positifs et plus proches de leur école, se considèrent comme des apprenants complémentaires. Un bénéfice important à noter pour les élèves, réside dans la compréhension de la logique de la progression adoptée et des apprentissages en cours.

  • Une stimulation de l’engagement et la collaboration

Très souvent, la modalité principale du cours est ce que l’on appelle le cours dialogué. L’élève participe mais reste cantonné à des interrogations fermées de la part de l’enseignant. On interroge ou interagit sur le contenu et pas le contenant. La prise en compte de la voix des élèves sur le contenant, à savoir le fonctionnement général, le ressenti, les modalités d’évaluation, etc. peut amener l’enseignant à réfléchir au format de la classe de manière à ce que les activités s’alignent et qu’une prise en compte des commentaires des élèves existe de manière pratique.

Ces prises en compte stimulent grandement l’engagement des élèves dans les apprentissages et permet de penser autrement la collaboration entre les enseignants et les élèves.

  • Faciliter la prise en charge de tous les élèves

Lorsque les enseignants ont eu l’occasion de recueillir les commentaires des élèves, ils peuvent personnaliser les apprentissages en fonction des besoins rencontrés.

Les enseignants peuvent ainsi mieux anticiper les défis, les contraintes et s’adapter avec une vision bien plus claire aux challenge de la différenciation.

Le comment, un rituel, une routine, une ritournelle connue de tous

Si je vous demande votre avis, le premier élément est d’expliquer pourquoi et ce que je ferai des précieux retours. Toujours intéressant de noter que certains enseignants expliquent aux élèves qu’ils sont en cours d’apprentissage comme eux et que pour avancer ils ont besoin d’eux. Ces mots peuvent changer la dynamique complète de la classe.

Écouter ce que les élèves ont à dire et interroger sur le vécu des changements en cours est un apprentissage de part et d’autre de la communauté.

L’enseignant comme les élèves doit apprendre à questionner, s’interroger et répondre. La fréquence a donc un rôle important dans le processus de participation des élèves au développement professionnel.

Plusieurs formats et stratégies sont possibles et commencent à être solidement documentés par la recherche :

  1. Technique de formulation des questions : apprendre aux élèves à poser de bonnes questions et à choisir celles qui conviennent le mieux en fonction des circonstances et des besoins. Poser les bonnes questions aux enseignants peut représenter une forme de rétroaction et d’éclaircissement sur ce qui est facilitant, source de compréhension ou reste en suspens, non compris et mal appréhendé.

  2. Les conseils : Le dialogue permet aux élèves de réfléchir sur le climat et les besoins actuels. C’est également un bon moyen de passer en revue leurs expériences partagées à la fin ou au début de la journée, ou de faire le point sur les célébrations et les préoccupations. Cette expérience est précieuse pour tous les âges.

  3. La tenue d’un journal : L’écriture de réflexions personnelles peut être un outil permettant aux élèves d’exprimer leurs pensées et leurs émotions avant d’en faire part aux groupes et/ou à l’enseignant.

  4. Les enquêtes : Les commentaires individuels et anonymes permettent aux élèves de donner des réponses ciblées aux problèmes rencontrés. Il est important de donner à la classe la possibilité d’examiner et d’analyser les résultats ensemble. Pour des réponses rapides et concrètes.

  5. Les protocoles de réflexion et de retour d’information : il existe de nombreux protocoles qui aident les élèves à travailler sur l’écoute active et garantissent que chaque voix a droit de cité. L’utilisation de protocoles crée un environnement sûr dans lequel les élèves peuvent exprimer leurs pensées et leurs suggestions dans un langage constructif et encourageant.

Changer de paradigme grâce aux élèves

Demander à chacun de s’exprimer sur son vécu c’est reconnaître qu’il a sa place dans le collectif classe avec toute sa singularité, son originalité. C’est reconnaître que l’expertise est partagée et que la coopération est centrale pour faire fonctionner cette communauté apprenante.

C’est également donner la possibilité de faire un pas de recul aux élèves pour comprendre ce qui est vécu à l’école et pleinement entrer dans une démarche réflexive partagée.

Penser à changer et transformer ce que l’on fait (dynamique de développement professionnel) demande de mieux voir ce qui ne fonctionne pas en s’obligeant au changement de paradigme et pour aider à ce changement de positionnement la voix des élèves représente un atout majeur.

Peut-être que dans un futur proche nous aurons la chance de voir les parents d’élèves, autre partie clé de la communauté éducative interrogée et partie prenante du développement professionnel des enseignants ?

Références

Student Voice and Teacher Professional Development, Morris David (2019)

La Discussion socratique, araignée (Harkness) ou le “Fishbowl



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